Suite à des maux de tête terribles, ma Grande Soeur est hospitalisée le samedi. Le lundi, on constate que « quelque chose » bloque le liquide rachidien. Une IRM est programmée, le verdict tombe : c’est une tumeur. On n’en saura pas plus, il faut des analyses. Ma Grande Soeur subira une opération le soir-même pour poser un drain afin d’évacuer la pression. Le neurochirurgien en profitera pour faire un prélèvement de cette boule… Beaucoup de témoignages « positifs » nous arrivent. Nombreuses personnes ont été opérées d’une tumeur au cerveau et n’en sont pas morts. Nous prenons espoir et nous accrochons aux cas qu’on nous rapporte.
Vient le vendredi. Mon papa, ma maman, le mari de ma Grande Soeur et moi sommes réunis autour d’elle aux soins intensifs. Nous attendons nerveusement l’arrivée de la neurochirurgienne qui doit nous annoncer le diagnostic et la suite du traitement.
Enceinte de 6 mois, nous pensons que nous ne connaîtrons jamais ma troisième nièce.
Le parloir
La venue de la neurochirurgienne est annoncée. L’infirmière nous guide jusqu’au parloir. Nous entrons dans cette pièce blanche, sans fenêtre, sans cadres, sans touches de couleur. Tout est blanc, à part la porte jaune.
Nous sommes installés sur des chaises, nous attendons.
La neurochirurgienne entre. Son visage est fermé, son regard peu assuré. Très vite, avant qu’elle ouvre la bouche, j’ai compris que ce qui allait suivre n’allait pas correspondre aux cas « positifs » dont on m’a parlé pendant toute la semaine.
La neurochirurgienne commence. Elle nous explique l’opération du lundi, puis la suite. Ma Grande Soeur va être réopérée afin d’enlever une partie de la tumeur. Ensuite elle pourra faire des rayons et de la chimiothérapie pour diminuer encore la taille de la tumeur.
Mais la tumeur ne disparaîtra pas. La tumeur est maligne, de grade 2 ou 3, un astrocytome de grade 2 ou 3. Mais surtout elle est très mal localisée. Elle a infiltré l’hypothalamus et l’hypophyse. On ne peut pas y toucher.
Après plusieurs minutes, la neurochirurgienne l’annonce… le terme Incurable tombe.
La pièce se met alors à tourner. Les murs se rapprochent. Le plafond baisse vers nous. Je me concentre sur les petits carrés de la fibre de verre sur les murs. Ma tête devient lourde. Je vois ma maman et mon papa les yeux rougis, la peau pâle, je vois le mari de ma Grande Soeur, introverti de nature, se replier encore plus sur lui. Plus personne ne parle. Maman a refermé son carnet dans lequel elle avait préparé ses questions. Le silence lourd plane. Chacun essaie d’intégrer l’information. Le terme « incurable » raisonne dans ma tête. Que veut vraiment dire la neurochirurgienne ? Le silence se rompt, mon papa pose LA question que tout le monde a dans la tête… « combien de temps? », la neurochirurgienne hésite… puis dit d’une voix plus basse « entre six mois et 2 ans »…
La neurochirurgienne se relève, mes parents la remercient, j’étouffe, je ne sais plus rien dire, plus rien faire. Je suis dans un état second. La porte s’ouvre, je fuis. Les autres retrouvent les visiteurs des soins intensifs. Moi je fuis, je pars d’ici. Je ne veux plus rester là. Je pars, je retourne à ma voiture. Tout ça n’est pas vrai, c’est un cauchemar. Je vais me réveiller. Ca ne peut pas être vrai. C’est une erreur médicale. Je vais trouver un meilleur médecin. Je vais trouver un remède.
Je vais me réveiller.
Je veux oublier ce parloir. Cette pièce froide, cette pièce blanche, cette pièce étroite, cette pièce éclairée aux néons.
Ce parloir sera le cimetière de mon innocence, de mon insouciance, de ma confiance, de ma force, de mon bonheur passé, de mon optimisme. Jusque là je vivais au pays des bisounours. Cette pièce m’a définitivement réveillée. et pourtant j’ai toujours cette impression de dormir. Que tout cela n’a pas existé. Que tout va revenir comme avant. Que ma Grande Soeur va prendre son téléphone et me proposer une sortie avec les enfants.
Après un an et 3 mois, j’attends toujours mais rien ne s’est passé. Son dernier SMS date de janvier 2010 « Coucou, je peux reprendre N à l’école si tu veux, bisous »…